POUR QUI PARLE LE POÈTE ?
Où est-il celui qui parlait le langage des astres ?
Celui capable de réformer le monde ou de l’embraser d’un souffle acide de l’enrouler d’un bon mot jusqu’à l’implosion des sens de faire de tout ce qui était cendres incandescentes
Où es-tu ?
Toi le dernier Nadir fais-nous entendre ta voix tu ne peux plus t’adresser qu’à une poignée tu dois parler à tous Descends de ton Zénith de ta copieuse bibliothèque Reviens-nous d’Abyssinie de l’or autour de la taille Distribue tes trésors au peuple accompagne les dans leur retraite
Mais il est peut-être déjà trop tard
Car voici venu le temps des nombrilistes des briseurs de rêves Dans ta silencieuse fureur tu nous as tourné le dos à tous sans distinction aucune Ton verbe est à présent inaudible Ta race est devenue la triste risée des puissants Invente donc un nouveau langage Libère-nous des mères abusives Des costumes étriqués Embarque-nous dans tes soirs bleus d’été Fais de chaque vision notre éternité
Reviens-nous
Toi l’enfant
Le voyant
Le dernier mendiant
IMPOSTURE
Une fenêtre grande ouverte horizon d’un autre ciel bleu et vide comme celui d'avant similaire et lointain
Des vignes, un terrain délimité rien d’inédit. Le quotidien
Des souvenirs se superposent en un calque approximatif Fou furieux de l’inconnu tu as voulu tirer un trait redistribuer les cartes en subtiliser une ou deux dans ta besace
Laisser cet autre ce compagnon de toujours sur un coin de route à la traîne à des kilomètres de toi
Alors tu as pris tes cliques et tes claques tu as tissé des frontières impossibles entre ceux qui t’ont éduqué inculqué le peu que tu sais
Tu as sciemment brouillé les pistes abandonné ton église le prêtre aimant le bon vin les vieux amis tous entortillés dans le même cordon un peu honteux
Ceux qui en un coup d’œil te disaient : « Je sais qui tu es inutile d’essayer de nous bluffer »
Alors, pris dans ta course à l’exil à bout de souffle espérant que chaque pas t’éloignerait de moi tu as tout essayé pour planter le raté l’enfant gâté
Celui qui toujours se planquait entre deux sonneries de récré et qui affiche à présent sa casquette et son cuir d’aventurier comme autant d’accessoires de pastiches du théâtre mourant
Trop lourd à porter ton sac à dos décoratif t’étrangle à défaut de te maintenir le dos bien droit, le regard fier
un pied devant l’autre des crêtes en dents de scie le panorama te nargue
Ironie sublime la brume masque l’avenir même cette récompense te fuit
Un bâtard te reconnaît ange gardien de ce rien que tu cultives le vide de part et d’autre
LA CONSPIRATION DU RÉEL
J’aimerais m’embarquer dans la douceur de ce large sans nom, sans destination
Rouleur d’éternité nulle escale voyager en solitaire en prendre plein les embruns
Un ressac de présent concentré bout au vent fumer l’horizon jusqu’à ce point fixe cette lueur qui pique les yeux où convergent mes dernières forces vives
Saisir cette brèche résister un bon coup contre ce sel qui s’accroche à mes basques me ronge au talon d’Achille
Abattre les voiles me dresser face au réel déjouer cette conspiration les proches, les envieux, les faux-amis
Fureur contre ce siècle qui monnaye le temps contre la houle qui fige mon sang ma jeunesse pétrifiée coule à pic
Dans un dernier sursaut de bon sens je me glisse par le hublot grand ouvert le repos du marin enfin
cette peur panique du noir, primale
sauvé par le spectacle d’un poisson-lanterne
Je sais maintenant où jeter l’ancre sans peur dans les bas-fonds où les courants murmurent une dernière fois avant de définitivement se taire c’est d’ici
que je regarderai les bateaux passer
sans jamais plus s’arrêter
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Texte : Grégory Rateau - Extrait de mon recueil Conspiration du réel aux Editions Unicité - gregory.rateau@gmail.com
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Grégory Rateau est un écrivain et poète français né en 1984 dans la banlieue parisienne et vivant aujourd’hui en Roumanie où il dirige un média. Il est l’auteur d’un premier roman, Noir de soleil, chez Maurice Nadeau (sélectionné au Prix France-Liban et au Prix Ulysse du premier roman 2020) et d’un premier recueil très plébiscité, Conspiration du réel, chez Unicité. Ses poèmes sont valorisés dans plusieurs anthologies et dans une trentaine de revues en France/Corse, Belgique, Suisse, Roumanie, Portugal, Pérou, Haïti, Espagne et Italie (Arpa, Europe, Esprit, En Attendant Nadeau, Verso, Place de la Sorbonne, Points et Contrepoints, Le Persil, Traversées, Bleu d’encre, Recours au poème…). Son nouveau recueil, Imprécations nocturnes vient de sortir chez Conspiration éditions ainsi qu'un livre illustré de ses poèmes en collaboration avec le peintre Jacques Cauda, Nemo, chez RAZ éditions.
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