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Photo du rédacteurpoesiarevelada

Exil à Nosy Boraha - Ile Sainte Marie



Un sac couleur plastique et une branche d'arbre. Avec ces deux armes dérisoires, Diari s'échinait à chasser la myriade noire de criquets. Sa rizière avait été ravagée une nouvelle fois, plusieurs jours durant. Récolte détruite. Le jeune paysan avait tout perdu. « Est-ce mon champ qui est aride ou moi-même qui est usé ? »


Il décida de quitter ce Sud asséché et de retrouver Dina, son frère jumeau, caché dans l'île Nosy Boraha, pour fuir la malédiction lancée contre lui par le chef coutumier du village. Diari partit avec son lémurien sur son épaule, un microcèbe apprivoisé, dont il ne se séparait jamais.


Maudit, Dina avait réussi à trouver un travail d'employé dans une o.n.g. locale, chargée de préserver un sanctuaire de baleines à bosse venues se reproduire dans les eaux chaudes de la baie d'Antongil et menacées d'extinction par les baleinières asiatiques.


Nosy Boraha (île Sainte-Marie) s'étend sur cinquante kilomètres de longueur, face à la côte nord-est de Madagascar. La légende raconte l'arrivée d'Abraham sur le dos d'un « dragon » et sa fuite devant une horde d'amazones venues le capturer. Affamé et assoiffé sur cette bande de terre, il ne trouve refuge que sur un îlot, recueilli et caché par une vieille femme qui accepte de lui donner à boire. En reconnaissance, le naufragé promet, à cette sauveuse compatissante, qu'elle et ses descendants ne manqueront plus jamais d'eau. Un geyser surgit de ce lieu, appelé par la suite Amboaboaka.


Devant Diari et Dina, le devin de la tribu étale sur le sol une petite natte sur laquelle il pose un morceau de quartz brillant et translucide pour mieux voir dans les ténèbres. Puis, accroupi face à l'est, il vide sur la natte les graines sacrées d'un sachet d'étoffe rouge. Il souffle légèrement sur le tas et passe en un mouvement circulaire et incessant la main au-dessus des graines.


« Réveille-toi, réveille-toi, Ancêtre, toi le vrai, toi le croyant, toi dont la bouche est forte comme le piment, dont les dents sont tranchantes comme une lame de fer ! Réveillez-vous, interprètes de l'au-delà. »


Dina explique à son frère que les cétacés ont droit à des égards particuliers. Ils ne doivent être ni chassés, ni consommés. A peine un pêcheur aperçoit-il un souffle, qu'il doit baisser les yeux de peur de contrarier « l'Esprit de l'océan ».


« Ô baleine, ô baleine, donne-moi ton enfant, donne-moi ton enfant, je te ferai présent de graisse. » Quand le baleineau est capturé, un pavillon blanc est hissé sur la pirogue.


Le cyclone se rapproche de l'île. L'orage gronde. Un air plus frais circule entre les palmes, chargé du parfum des girofliers et, par intervalles, de la fade odeur du sang. C'est le temps pour les pêcheurs d'honorer les ancêtres, de sacrifier un zébu et de s'en partager les dépouilles. La veille, une femme a été mis en terre. Dès l'aube, les tam-tams ont résonné et les pleureuses sont descendues jusque sur la grève, pour lancer leurs appels aux ancêtres. Les fils portent la défunte sur leurs épaules, dans un déploiement de danses, de chants jusqu'à sa tombe provisoire et, au retour, tout le cortège des femmes plonge dans la mer, pour le bain purificateur.


Les larges voiles orange des pirogues, gonflées d'eau, flottent au gré des vagues. Les danseurs simulent, en mouvements brefs et rapides, des combats de coqs et de caméléons. La végétation est très dense : cocotiers sur les plages de sable blanc, filaos, bonnets d’évêques et, surtout, l'arbre à pain aux larges feuilles vernissées qui donnent une note somptueuse au paysage.


Ce soir, Diari oublie la famine des terres du Sud où « l'eau se cache. »


Plus qu'un chant, le cri déchirant d'un enfant brun troue la nuit. Suit le long discours du chef de la tribu, coiffé d'un chapeau de paille :

« Les maladies rongent la ville.

Ici et là sévissent les voleurs de zébus

Terrorisant et blessant le coeur. »


D'autres hommes le rejoignent et improvisent librement. « Un rien peut détruire notre raison », hurlent-ils. Percussions et tambours ponctuent le halètement rauque et syncopé des chanteurs. Les danseurs se déchaînent comme des faucons qui remontent le vent et soulèvent un nuage de poussière. Les voix incandescentes reprennent en chœur :

« Nous polluons l'eau, nous détruisons les vallées. Nous empoisonnons tout le monde.»


Puis la mélopée s'arrête brusquement. Le joueur de valiha s'est installé au centre du cercle, faisant corps avec son instrument. Seule résonne, dans le silence nocturne, la sonorité cristalline de la cithare tubulaire en bambou. Devant un groupe d'enfants, le corps des femmes ondule doucement, sous l'étoffe légère de leur cotonnade.


« Nous n'avons plus que le salegy, le rythme des pasteurs de zébus, pour nous tenir dans cet exil … Nous n'avons plus que le salegy pour nous unir. »


Texte : Thierry Quintrie Lamothe

Auteur/Reportages


Photos : Philippe Pons

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8 Comments


Alan Pemberton
Alan Pemberton
Apr 19, 2020

frappant..

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carpediemfrank
Mar 31, 2020

Lire votre histoire, c'est comme faire un voyage sur place.merci

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rabefitiazo
Feb 25, 2020

Ces écrits éclairent le cœur. Je suis comblé par la densité de cette oeuvre. Une cinquantaine de lignes et tout est vécu.

Nous n'avons plus que le Salegy (et le sourire) pour nous unir. Chapeau!

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pthillet@linga.fr
pthillet@linga.fr
Jan 04, 2020

Encore un beau texte, qui fait voyager et penser aux femmes et aux hommes en peine sur cette terre. Mais qui savent faire face tout en respectant ses rites et ses rythmes.

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Nataliia Antipina
Nataliia Antipina
Dec 27, 2019

Dear Thierry, this new creation is so perfect! Is Boraha a real place? After reading your work, I can say that now it's definitely a real spot. An interesting structure of the poem consisting of short pieces interrupting the previous one, but forming a single whole. Great photos to complement the content. Nothing extra. You are a great fellow!


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