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“L’univers n’est pas obligé d’être beau, et pourtant il est beau”


© Viviane Lièvre - Fajã São Jorge (Archipel des Açores)

João, « l’univers n’est pas obligé d’être beau, et pourtant il est beau ».


Réfugié dans le silence, la phrase de François Cheng crie en moi. Les « Cinq méditations sur la beauté », intenses réflexions du très sage poète académicien, tiennent miraculeusement dans ma poche de voyageur. Je passe cet instant qui dure au crible de sa parole, au risque d’en être bouleversé. Je souhaite de l’être. Aucun vent ne disloque les édifices nébuleux qui surplombent Flores. Ils restent suspendus au-dessus du miroir des volcans et de la quiétude de l’océan. Cette formidable beauté emplit mes yeux. Elle se prolonge. Elle donne à l’observateur - moi-même, immobile - le temps de penser à ce qu’il pourrait faire d’elle. Je suis venu aux Açores, tu le sais, pour tenter de distancier le mal abrutissant que l’Homme inflige à l’Homme en ce début affligeant de millénaire. « Je suis persuadé que nous avons pour tâche urgente, et permanente, de dévisager ces deux mystères qui constituent les extrémités de l’univers vivant : d’un côté, le mal ; de l’autre, la beauté ». C’est Cheng qui parle. Sous l’influence de sa « première méditation », j’entrepris de dévisager la beauté en sillonnant une nature açoréenne à laquelle l’Homme n’a pas encore fait trop de mal. Et de l’interroger, de l’impliquer dans la marche cahoteuse du monde. Ce soir, les nuages fleurissent. Ils éclosent ainsi après des millénaires de brassage atmosphérique, prennent des formes jubilatoires et harmonieuses au-dessus de la piste verte d’une lande sauvage, éclairée par les projecteurs du couchant. Ils jouent à des exercices dont le sens m’échappe hormis l’évidence de la beauté qui en résulte.

Comment transformer ce privilège en acte ?


Cet instant prodigieux s’est éloigné, João, puisque je te le raconte. J’en garde la nostalgie. Il renforce ma conscience de notre éphémère respiration sur cette terre. De ma finitude. Mais il conforte mon ambition de voyageur : chercher inlassablement la beauté, la trouver, la traduire, lui donner des lettres de visibilité, annoncer son renouvellement, car la beauté attire la beauté. Je cultive l’espoir de participer à sa contagion. « La beauté sauvera le monde », assure François Cheng qui cite une phrase de L’Idiot de Dostoïevski que je te répète. La lutte continue. Puisque le mal aussi, sur l’autre versant du monde, est contagieux. Mais il faut croire que la beauté l’emporte toujours un peu, au moins d’un gramme, sur le plateau de la balance du vivant qui la met en concurrence avec la xénophobie, l’instinct de destruction et la cruauté. Je voudrais exprimer sans relâche mon attention, ma gratitude, à la beauté pour qu’elle se sache exister, qu’elle abonde en nos mémoires, qu’elle nous force à toujours la quérir, la chérir, à la repérer, la répéter. Pour qu’elle inonde notre futur. Sinon…     


© Viviane Lièvre - Flores (Archipel des Açores)

Jean-Yves Loude / Écrivain et ethnologue

Vient de publier chez Actes Sud : "Un cargo pour les Açores"

www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/un-cargo-pour-les-acores


Photos de Viviane Lièvre


(François Cheng : écrivain, poète et calligraphe chinois naturalisé français en 1971.


Jean-Yves Loude vient de publier chez Actes Sud : "Un cargo pour les Açores"

www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/un-cargo-pour-les-acores

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